Transistors dans la forêt

En regardant les schémas électriques de pédales d’effet comme les fuzz, les distorsions, les pédales de boost, etc…, vous avez constaté la présence de transistors et vous vous êtes demandé « pourquoi autant de résistances et de condensateurs tout autour ?« .

L’ajout de certains composants va évidemment permettre d’obtenir un meilleur contrôle de la réponse du circuit. Oui, mais comment ? Il faut tout d’abord diminuer les dérives thermiques possibles du transistor, donc obtenir une stabilisation thermique de celui-ci pour maintenir un gain constant et éviter sa destruction. Une autre raison est que le transistor a un facteur d’amplification ou facteur beta donné par le fabricant qui peut varier de manière significative d’un transistor à l’autre pour un même modèle, ceci pour des raisons de fabrication. Ceci est bien entendu un problème pour la conception du circuit, que l’on solutionne en « mofidiant » le circuit émetteur commun.

Nous allons donc voir différents circuits amplificateurs en configuration émetteur commun en commençant par le circuit de base, puis nous allons voir comment il est possible de stabiliser la température du transistor et réduire la dépendance en beta en rajoutant des résistances. Et le tout sans calculs, ou presque. Allons-y.

1 Montage amplificateur émetteur commun

Figure 1 : montage amplificateur émetteur commun. Les tensions sont représentées en rouge et les courants en vert.
Figure 1 : montage amplificateur émetteur commun. Les tensions sont représentées en rouge et les courants en vert.

Revenons au montage amplificateur en configuration émetteur commun théorique. Ce circuit est représenté sur la figure ci-contre.

Lorsque le transistor est monté en émetteur commun, on peut montrer que la température a un effet non négligeable sur son point de fonctionnement. Ceci est le plus gros désavantage de montage émetteur commun et est d’autant plus vrai pour les transistors au germanium (voir l’article sur la jonction PN).

De plus, lorsque le courant collecteur ic est grand, la puissance dissipée par le transistor est grande, ce qui provoque une augmentation de sa température. Cette augmentation de température va à son tour augmenter le courant de collecteur ic. On a alors un emballement thermique qui peut conduire à la destruction du transistor.

Afin de palier ces problèmes liés à la température, on va lier le courant de base ib à la température, de manière à ce que si celle-ci augmente, ib diminue et inversement. Le but est de maintenir ic constant. Pour cela, on va utiliser une boucle de contre-réaction entre le collecteur et la base.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :  Le transistor en régime alternatif

2 Stabilisation par contre-réaction du collecteur

Figure 2 : montage émetteur commun avec stabilisation par contre-réaction du collecteur.
Figure 2 : montage émetteur commun avec stabilisation par contre-réaction du collecteur.

Le schéma électrique correspondant est représenté à droite. La résistance Rb n’est plus reliée à la tension Vcc mais au collecteur (C) du transistor.

Si le transistor s’échauffe, le courant de collecteur ic tend à augmenter. Vu que la tension VRc aux bornes de Rc est liée à ic par la loi d’ohms (VRc = Rc x ic), l’augmentation de ic conduit à une augmentation de VRc. Et comme Vcc = VCE + VRc et que Vcc est constante donnée par la pile, l’augmentation de VRc conduit à une diminution de VCE.

Or si VCE diminue, ib diminue, ce qui conduit à une diminution de ic. Génial non ?

Par conséquent, ce montage s’oppose à une variation du courant ic. Il y a réaction de la tension de sortie VCE sur le courant d’entrée ib.

On peut appliquer le même raisonnement, mais à l’inverse si ic diminue : VCE augmente, ib augmente et ic aussi. Par conséquent le courant ic tend à se maintenir constant.

Notons que ce montage est intéressant si Rc est assez élevé pour qu’une petite variation de ic entraîne une variation suffisante de VCE.

3 Stabilisation par contre-réaction de l’émetteur

Figure 3 : Montage émetteur commun avec stabilisation par contre-réaction de l'émetteur.
Figure 3 : Montage émetteur commun avec stabilisation par contre-réaction de l’émetteur.

Intéressons nous au circuit suivant. On retrouve la configuration théorique de la figure 1, mais il y a maintenant une résistance Re entre l’émetteur (E) et la masse.

Le principe est le suivant : lorsque ic augmente, ie augmente aussi (car ie ~ ic). Par conséquent VRe augmente. Or la tension de base VB = VRe + VBE par conséquent si VRe augmente, VB aussi. Et la tension VRb aux bornes de Rb est définie par VRb = VccVB par conséquent si VB augmente, VRb diminue. Finalement, si VRb diminue, ib diminue également et si ib diminue, ic diminue aussi.

Par conséquent, il y a réaction de la tension d’émetteur VRe sur le courant ib.

La résistance Re doit être suffisamment élevée pour que les variations de ic conduisent à des variations suffisantes de VRe.

Cependant, ce montage présente plusieurs inconvénients. En effet, comme nous venons de le dire puisque Re doit être élevé, VRe sera proche de Vcc et ceci réduit l’amplitude du signal de sortie. La solution est d’augmenter Vcc, mais ce n’est pas ce qu’on veut, car on veut autant que possible alimenter toutes nos pédales d’effet en 9 V, non ?

Le 2e inconvénient est que si la valeur de Re est grande, cette résistance va dissiper une partie importante de la puissance consommée par le circuit et donc le rendement sera faible.

Il y a cependant un montage alternatif, toujours en contre-réaction de l’émetteur.

4 Stabilisation par contre-réaction de l’émetteur, deuxième montage

 Figure 4 : Autre montage émetteur commun avec stabilisation par contre-réaction de l'émetteur et indépendance en beta.
Figure 4 : Autre montage émetteur commun avec stabilisation par contre-réaction de l’émetteur et indépendance en beta.

Pour pallier les inconvénients cités ci-dessus, nous allons rajouter une 4e résistance.

L’idée est de polariser la base par un pont diviseur de tension constitué par Rb1 et Rb2. Ceci permet au courant ib d’être beaucoup plus sensible aux variations de VRe c’est-à-dire aux variations du courant ic.

Avec ce montage, on peut limiter VRe à 10 ou 20 % de la tension Vcc, ce qui diminue nettement la puissance dissipée par la résistance Re par rapport au montage précédant [1].

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :  Point de repos du transistor bipolaire

Afin d’avoir la tension de base VB pratiquement constante, on prendra soin d’avoir ib2 5 à 10 fois plus grand que ib, ce qui veut dire choisir une résistance Rb2 5 à 10 fois moins grande que Rb1 [2].

Cette méthode est la plus utilisée pour polariser un transistor de manière fiable. C’est d’ailleurs le circuit électrique que l’on trouve dans nombreuses pédales comme la pédale de boost LPB-1 de Electro Harmonix pour citer le circuit le plus simple (vous pourrez trouver ce circuit en téléchargeant le bonus de ce blog).

Indépendance en beta

Le facteur beta (lettre grecque \beta) d’un transistor est un paramètre qui nous donne le gain en courant d’un transistor [3]. Il nous permet de savoir combien vaut le courant de collecteur ic pour un courant de base ib donné, par la relation ic=\beta \times ib (vraie lorsque l’on polarise le transistor pour qu’il fonctionne dans la zone linéaire, voir cet article). Le problème est que le fabricant ne peut donner une valeur exacte pour le facteur beta sinon une plage. Par exemple, un transistor de type 2N3904 a un beta qui peut varier de 70 à 300 d’un transistor à l’autre. Ceci est bien entendu un problème lorsque l’on veut concevoir de manière précise un amplificateur qui amplifie sans distorsion. De plus, le paramètre beta varie avec la température.

Cependant, en choisissant bien les valeurs des résistances du circuit, donc dans ce cas les valeurs de Rb1, Rb2, Rc et Re, on va pouvoir faire que le point de repos du transistor soit indépendant du facteur beta [4]. Voyons cela.

On peut montrer par le calcul que le courant de collecteur ic est tel que :

\displaystyle i_c=\frac{V_{B}-V_{BE}}{\frac{R'_b}{\beta}+R_e}

R’b est la résistance équivalente entre Rb1 et Rb2 et se calcule avec la formule des résistances en parallèles :

\displaystyle R'_b=\frac{R_{b1} \times R_{b2}}{R_{b1}+ R_{b2}}

Dans l’équation de ic, si Re est très grand devant \frac{R'_b}{\beta} , on pourra négliger ce dernier terme au dénominateur et alors on aura :

\displaystyle i_c=\frac{V_{B}-V_{BE}}{R_e}

Par très grand, il faut comprendre typiquement un facteur 10, et choisissons pour beta une valeur moyenne de 100 pour faire simple :

\displaystyle R_e = 10 \times \frac{R'_b}{\beta} = 10 \times \frac{R'_b}{100}

Donc :

R'_b=10 R_e

Nous avons donc trouvé une condition sur ic pour que le facteur beta n’influence pas le circuit.

Calcul rapide des valeurs de résistance :

On peut alors rapidement calculer l’ordre de grandeur des résistances du circuit de la figure 4 : si Re = 1 kohms, R’b = 10 x Re = 10 kohms. Or Rb1 vaut environ 10 fois Rb2 pour les raisons évoquées plus haut par conséquent R’b est environ égal à Rb2. Par conséquent Rb2 = R’b = 10 kohms et Rb1 = 10 x Rb2 = 100 kohms. Ainsi, à la louche, on conçoit le circuit de la figure 4 avec Re = 1 kohms, Rb2 = 10 kohms et Rb1 = 100 kohms. Reste à déterminer Rc pour que le point de fonctionnement se trouve à 4 V environ par la loi d’ohms.

5 Autres types de stabilisation thermique

On peut trouver d’autres moyens de réguler la température du transistor.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :  Transistors au germanium de récupération

5.1 Stabilisation par thermistance

Une thermistance est une résistance dont la valeur est fonction de la température. En reprenant le circuit basique de la figure 1, celle-ci est placée entre la base et la masse. Cette thermistance a un coefficient de température négatif de résistance variable Rt. Ceci signifie que sa résistance Rt diminue lorsque la température augmente.

On va alors l’utiliser ainsi : lorsque la température du transistor augmente, Rt diminue. Le courant qui passe par la thermistance augmente donc et alors ib diminue donc. Ceci a pour effet de s’opposer à l’augmentation du courant de collecteur ic dû à l’effet de température.

Par conséquent, la thermistance doit être placée à proximité du transistor pour capter ses variations de températures.

Ce circuit pourra généralement être utilisé pour l’étage final d’un amplificateur, c’est-à-dire l’étage de puissance.

5.2 Stabilisation par diode

Figure 5 : montage émetteur commun avec stabilisation par diode.
Figure 5 : montage émetteur commun avec stabilisation par diode.

Dans ce cas c’est une diode que l’on place entre la base et la masse, en inverse :

Le principe de fonctionnement est identique à celui du montage avec thermistance. Lorsque la température s’élève, le courant inverse passant dans la diode augmente.

La diode doit être située à proximité du transistor elle aussi.

5.3 Les dissipateurs thermiques

Finalement, je ne peux pas parler de régulation thermique sans mentionner les dissipateurs thermiques. Je ne vais pas entrer dans les détails ici, mais ils sont la solution nécessaire pour éliminer tout écart de température lorsque les puissances dissipées qui sont en jeu sont importantes. Ce sont des radiateurs collés au transistor qui permettent d’évacuer la chaleur.

J’insiste sur le terme puissance dissipée, car si l’amplificateur fonctionne en classe D, le rendement théorique est de 100 %. Ce qui veut dire que l’on peut obtenir des puissances de sortie relativement élevées avec des écarts de température théoriquement nuls et en pratique quasiment nuls. Vous pouvez voir un cas pratique d’utilisation d’un amplificateur de classe D dans cet article sur la fabrication d’un ampli de poche avec le chip TPA3118.

Conclusion

Dans cet article nous avons passé en revue les différentes configurations émetteur commun. Le circuit de la figure 4 est celui généralement employé pour obtenir le maximum de fiabilité.

Je n’ai pas parlé des boucles de rétroaction qui consistent à réinjecter du signal de sortie en entrée par l’intermédiaire de condensateurs ni de la possibilité de mettre un condensateur de découplage à l’émetteur pour augmenter le gain en tension de l’amplificateur. Ceci sera l’objet d’autres articles !

Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le partager ou à me laisser un commentaire. Merci !!

Références

[1] Electronique, cours théorique et pratique par correspondance, Eurelec, vol 10 p.11

[2] https://www.electronics-tutorials.ws/amplifier/transistor-biasing.html

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Transistor_bipolaire

[4] Denton J. Dailey, Electronics for guitarists, Ed. Springer

Si vous avez aimé l'article, vous êtes libre de le partager :
 
 
   

Cet article a 5 commentaires

  1. Samouillan

    Bonjour, paragraphe 5-2, la diode est à l’envers. De plus, ce montage est à éviter, trop de disparité entre la diode et la jonction BE du transistor…sans compter que l’impédance de la diode shunte le signal d’entrée sur la base. De toute façon, le meilleur montage, et de loin, c’est celui du paragraphe 4, par pont de base… Et si on veut encore plus de stabilité, si VE est bas, on peut mettre une diode série avec RB2, dans le bon sens….

    1. fais-tes-effets-guitare.com

      Bonjour, merci pour votre commentaire. Non, la diode du paragraphe 5-2 est dans le bon sens. Vous trouverez ce schéma dans « The art of electronics » de Horowitz et Hill dans le chapitre 2, ou dans les cours d’électricité Eurelec (cité dans l’article).

  2. BOUSMAT

    Bonjour,
    Est-ce que la « Stabilisation thermique et indépendance en beta du transistor » peut s’appliquer dans le cas d’un transistor PNP au germanium ??
    Si oui, pourriez –vous faire un article spécifique pour les transistors PNP et plus particulièrement au germanium ???
    Je vous demande ça car le fabricant de pédales guitare BENSON à sortie une pédale de FUZZ à transistors germanium avec un système de bias automatique en fonction de la température des transistors « THE FIRST FUZZ PEDAL WITH AUTOMATIC THERMAL BIAS « .
    Ce serait super
    Cordialement

    1. fais-tes-effets-guitare.com

      Bonjour, merci pour votre commentaire très intéressant.

      Dans mon article, je parle d’une méthode générale et connue pour d’une part d’un point de vue de conception avoir un circuit qui ne dépende pas du gain du transistor (qui peut beaucoup varier pour 2 transistors de même références) et permettre au circuit de « s’auto-réguler » quand le transistor commence à chauffer. Ceci s’applique donc à des transistors au Ge et de type PNP. Je peux faire un article sur le branchement d’un Ge PNP dans cette configuration, oui.

      En ce qui concerne l’application pour un circuit de fuzz, le circuit de fuzz est bien différent du présent circuit, avec entre autre une particularité, une résistance qui relie l’émetteur du 2nd transistor à la base du 1er.

      Le système trouvé par Benson que vous citez est vraiment astucieux. En fonctionnement normal ils élèvent artificiellement la température des transistors au dessus de la température ambiante avec un système de résistances qui chauffent. Ils ont alors choisit les valeurs des composants alentours pour que le circuit fonctionne bien à cette température. Puis, lorsque les transistors commencent à chauffer, le circuit de chauffe artificiel stoppe et vu que la température ambiante est plus froide les transistors refroidissent.

      Il y a le schéma de la pédale et un fil de discussion très intéressant ici :
      https://www.freestompboxes.org/viewtopic.php?p=284728&hilit=benson+germanium+fuzz#p284728

      Bonne journée !

Laisser un commentaire