Dans cet article théorico-pratique, nous allons voir le circuit d’une fuzz très facile à monter : la Bazz Fuss, que j’ai découvert sur le site home-wrecker.com. Cette pédale, conçue par Christian Hemmo a été initialement pensée pour une guitare basse, mais elle fonctionne très bien pour la guitare, comme le témoignent les vidéos que l’on peut trouver sur internet.
Sur la toile on trouvera différentes propositions de modifications, comme changer la diode, le transistor, et différentes valeurs de résistances. En fait, ce qui est marrant c’est que vu que ce circuit est simple, il est très facile de jouer avec en changeant ses divers composants. Maintenant, il ne faut pas faire n’importe quoi non plus, sinon ça va très vite sentir le cramé ! 😀
Pour éviter cela, dans cet article, je vous propose quelques pistes pour expérimenter ce circuit. Je vais d’abord donner le circuit (quasi) original. Je vais donner quelques notions théoriques en m’appuyant sur des simulations pour comprendre le circuit. Ceci va nous permettre de comprendre quelles modifications nous pouvons apporter et leur effet sur… l’effet.
À la fin, je proposerai mes modifications, basées sur mes besoins comme guitariste.
Sommaire
1 La Bazz Fuss : le circuit initial
Dans la référence [1], on peut trouver le circuit original de la Bazz Fuss avec une petite modification, ils ont mis le potentiomètre de 100k en sortie de l’effet au lieu de le mettre en entrée. Voici leur circuit :
1.1 Description des composants
La position du potentiomètre en sortie permet de contrôler le volume de sortie. Et comme indiqué dans [1], le volume de la guitare fait office de potentiomètre d’entrée, celui-ci va donc nous permettre de contrôler la patate qu’on veut envoyer dans l’effet. Nous allons voir que ceci est primordial.
Le transistor est un transistor bipolaire de type NPN modèle 2N3904, très utilisé dans les circuits analogiques, mais un peu ancien. Son gain en courant est typiquement de 100 [2]. Sur la figure 1 j’ai mis les 3 broches du transistors : base (B), émetteur (E) et collecteur (C).
La diode 1N914 est une diode PN au silicium [3], donc la tension à ses bornes en polarisation directe sera d’environ 0.6-0.7 V (si le courant est de l’ordre du mA, voir cet article sur la jonction PN).
Les condensateurs Cin et Cout sont des condensateurs de liaison, ils permettent d’annuler la tension continue délivrée par la pile en entrée et en sortie du circuit.
1.2 Fonctionnement du circuit de la Bazz Fuss
Ce montage rappelle le montage amplificateur émetteur commun avec contre-réaction du collecteur (voir cet article pour plus de détails). Cependant, on a une différence, entre collecteur et base on trouve une diode au lieu d’une résistance.
Or, lorsqu’une diode est polarisée en directe, elle conduit le courant et elle présentera à ses bornes une tension fixe qui est ou qui sera proche de sa tension de seuil (0,65 V pour le silicium, 0,3 V pour le germanium, 1,6 V ou plus pour une diode electroluminescente rouge, etc…).
De plus, la tension entre la base (B) et l’émetteur (E) VBE est fixe (dans cette configuration) égale à environ 0,6 V.
Par conséquent, la tension de collecteur VCE (ou VC car VE=0 V) sera fixe elle aussi, égale à la tension base-émetteur d’environ 0,6 V + la tension de la diode d’environ 0,65 V (nous verrons que ce sera un peu moins dans la partie simulation). Ceci nous situe la tension de collecteur VC à environ 1,2 V. Et ceci est très mauvais du point de vue amplification, si l’on veut que l’amplification se fasse sans distorsionner (ou modifier) le signal d’entrée (voir l’article sur le calcul du point de repos du transistor et le transistor en régime alternatif).
Mais ici, on ne veut pas un ampli super clean, bien au contraire mes amis, on veut une FUZZ !!!!
Le fait de positionner la tension VC à environ 1,2 V situe le point de repos du transistor proche de sa zone de saturation. Ceci signifie qu’une bonne partie du signal sera écrêtée, ce qui conduit au son si particulier de cette pédale de fuzz.
1.3 Simulation SPICE du circuit d’origine
Prologue à la simulation
La simulation va nous être utile pour « tâter » comment la valeur des composants peut affecter le comportement général. Après, il faut être conscient que c’est une approche qualitative, car, par exemple, les bobines de la guitare ne sont pas du tout prises en compte.
Ensuite, il faut considérer que la guitare est un instrument à cordes pincées, donc qui produit des sons dont le volume décroît relativement vite. Ici, ceci n’est pas pris en compte.
On fait donc comme si un son pur (une seule fréquence) et constant sortait de la guitare, ce qui est donc une approximation, mais est informatif pour regarder comment le circuit transforme la sinusoïde.
Paramètres de la simulation
Voici le circuit de la simulation :
J’y ai mis les mêmes valeurs de composants que sur la figure 1. Le signal de la guitare est simulé par le générateur de tension sinusoïdal nommé V2a, de fréquence 1kHz (=1000 Hz).
Les pédales de fuzz comme la Fuzz Face sont connues pour réagir aux dynamiques de notre jeu. En gros, plus on attaque fort les cordes, plus l’amplitude du signal est grand et le signal distordu. Les amateurs de blues rock le savent bien. Je vais donc faire la simulation pour 3 amplitudes d’entrée différentes : 1 mV, 10 mV et 100 mV et voir ce qui se passe.
Les différentes amplitudes sont représentées sur la figure ci-dessous. On les mesure lors de la simulation à la sortie de V2a, là où on voit une sonde grise notée V sur la figure 2.
Résultats de la simulation
Sur la figure 2, on voit que le courant iRc qui passe dans Rc est d’environ 80 uA, ce n’est pas beaucoup, mais vu la valeur élevée de Rc, c’est compréhensible. En fait on peut même le calculer :
si VCE~1V, la tension VRc aux bornes de Rc est VRc=VCC-VCE=9-1=8 V. En appliquant la loi d’ohms sachant que Rc=100 kohms, on trouve que iRc=VRc/Rc=8/100k=80 uA.
Le résultat de la simulation sur la forme du signal de sortie est le suivant, figure 4. Ça fait un peu mal à la tête, mais je vais expliquer de suite !
Regardons l’allure générale des courbes rouge et verte, pour les plus grandes tensions d’entrée. On a un truc plutôt carré. C’est bien écrêté, c’est bien fuzz.
Le signal en gris est le signal de plus basse tension d’entrée. J’ai dû le multiplier par 5 pour bien voir que la forme sinusoïdale est conservée.
En conclusion, on voit que les signaux de faible amplitude sont amplifiés sans distorsion, et les signaux de grande amplitude sont amplifiés très distordus. On peut donc espérer avoir un son qui se nettoie en distorsion, à la Fuzz Face.
Cependant, en pratique, ce n’est pas le cas ! Enfin si, on a un bon gros son fuzz ! Mais lorsqu’on joue très piano, le circuit coupe le son. Et si on joue un peu plus fort, le son sort très amplifié.
Mais ne tardons pas plus à écouter tout cela en vidéo !
1.4 Le son de la Bazz Fuss
J’ai fait une petite vidéo qui regroupe toutes les modifications que je présente ici. En cliquant sur les différents liens dans les différentes sections de cet article, vous accéderez directement à la partie de la vidéo qui nous intéresse.
Au passage, je vous précise le matos que j’ai utilisé pour enregistrer :
Mon ampli est un Blues Junior de Fender :
AMPLI GUITARE COMBOS A LAMPES FENDER BLUES JUNIOR IV BLACK 230V EU NOIR NOIRE BLEU BLEUE TOPSHOPPINGMa réverbe est une Flint de Strymon :
REVERB – DELAY STRYMON FLINT TREMOLOEt j’ai enregistré avec un micro e906 de Senheiser :
SENNHEISER E906 MICRO AMPLI GUITARE DDYAM19La vidéo de ma Bazz Fuss, montée sur un protoboard :
Voici mon avis sur cette fuzz : on a un son bien velcro comme j’aime bien, idéal pour des riffs qui arrachent. J’aime aussi beaucoup le son synthétique de la guitare dans les aigus. Par conséquent, sans rien changer, j’aime beaucoup !!!
Un son velcro idéal pour les riffs qui arrachent, et synthétique dans les aigus. Bien comme on aime (en tout cas moi) !!
Maintenant, ce que je trouve qu’on peut améliorer, c’est que le comportement en volume est un peu tout ou rien c’est-à-dire du son ou pas de son. En jouant pas fort, casi rien ne sort, et si on essaie de jouer en faisant des dynamiques et bien la note ne sort pas toujours.
Ça fait que la note n’a quasiment pas de « sustain » (le « sustain » est le temps que dure la note), et c’est encore plus vrai lorsque l’on baisse le volume de la guitare. Lorsque le volume est à 5/10 par exemple, on entend le son de la guitare, très faible, puis en accentuant une note, le son nous saute à la tronche !
Je trouve que ça peut être pas mal d’améliorer cet aspect là, donc de réduire l’aspect tout ou rien.
Notons que dans la littérature il est proposé de changer le transistor, la diode, ou la résistance de collecteur Rc. En particulier dans la référence 1, le peu de « sustain » est commenté et différentes combinaisons de diodes et transistors sont proposés pour y remédier. Il y a des tonnes de possibilités, entre les différents modèles de transistors, de diodes, valeurs de résistances.
Pour commencer, j’ai utilisé un transistor à plus haut gain, le MPSA18.
2 Modification #1 : substitution du transistor original par un MPSA18
Dans la référence 1, il est suggéré d’utiliser un transistor de type darlington. C’est un transistor qui contient en fait deux transistor connectés dans le même boîtier, ce qui permet d’avoir plus de gain. Ils proposent d’utiliser le modèle MPSA13.
Même si ça n’est pas complètement clair pour moi pourquoi le fait d’utiliser un transistor de plus grand gain va allonger le « sustain » (ou diminuer le « decay »), j’ai tenté l’expérience. J’ai pour cela choisit le MPSA18 qui a un gain typique de 600 pour des courants faible comme on a ici. Pour comparaison le transistor original 2N3904 a un gain typique de 100 (voir [4] et [2]).
2.1 Son de la Bazz Fuss avec un MPSA18
En cliquant sur le lien suivant vous accéderez directement au test avec le transistor MPSA18 :
Verdict : nous voyons que grosso modo, lorsque le volume de la guitare est à fond, le son n’a pas changé, il est toujours bien « velcro » typique d’une fuzz. Le decay quand à lui est un peu amélioré. C’est un bon résultat !
Le son dans les aigus est toujours aussi chouette !
De plus, c’est beaucoup moins tout ou rien, on peut maintenant baisser le volume de la guitare et jouer sur les dynamiques.
C’est donc pas mal, mais on peut peut-être améliorer encore tout ça, notamment le peu de sustain. Peut-être serait-il intéressant de bouger le point de fonctionnement du transistor. Nous avons vu qu’il est situé à 1 V, c’est très peu (mais c’est grâce à cela que le son est tellement distorsionné).
Voyons ce que nous apprends la simulation avec ce transistor.
2.2 simulation avec un MPSA18
Voici le résultat des tensions et courants :
On voit essentiellement deux choses :
- La tension de collecteur Vc est à 958,7 mV, on peut dire qu’elle est toujours d’environ 1 V et donc que le changement de transistor n’a pas eu d’influence sur Vc
- Le courant de base a baissé et est passé de 849 nA à 178,5 nA.
Le fait que Vc n’a pas bougé se comprends par le fait que Vc est toujours la somme de VBE la tension entre base et émetteur et VD la tension aux bornes de la diode. Or VBE et VD sont des tensions qui vont varier peu car elles sont intrinsèques au matériau qui compose le transistor et la diode. C’est pour cela que Vc n’a pas bougé de manière significative.
Le courant de base ib a baissé car le gain du transistor est plus élevé. Puisque Vc est constant, le courant de collecteur est constant (environ 80 uA). Et comme ic=ib, avec le gain en courant du transistor, puisque le gain a augmenté, ib a diminué.
Par conséquent, une manière de monter le point de fonctionnement est d’augmenter la tension de la diode, en utilisant une diode dont la tension seuil est plus élevée que notre diode au silicium. On peut prendre par exemple une diode électroluminescente rouge dont la tension seuil est de 1,6 V – 2 V.
3 Modification #2 : Substitution de la diode par une LED rouge
3.1 Simulation SPICE avec une LED rouge
Voyons ce que donne la simulation en conservant le MPSA18 et en utilisant une LED rouge :
Nous voyons que, comme on s’y attendait, la tension Vc se situe maintenant à ~1,6 V. En théorie, le signal de sortie dispose d’une amplitude plus grande sans distorsion. On s’attend donc à une moins grosse distorsion et à un jeu moins coupé dans les faibles signaux. Voyons cela en pratique.
3.2 Résultats sur la LED rouge en son
Voici un peu de son avec ce nouveau montage :
Verdict : je trouve que l’on a une pédale plus proche d’une Fuzz Face lorsque le volume de la guitare est baissé. C’est-à-dire qu’on arrive à avoir moins de disto, tout en conservant du grain. On a bien moins de sauts en dynamiques dans les accents, donc ça c’est bon.
Par contre, le son à haut volume est sensiblement moins fuzz je trouve, ça ressemble plus à une RAT. Mais bon, ça reste utile pour faire du bon bourrin.
Je trouve aussi le son plus sourd, on a perdu en aigus quelque part… Mais là on peut jouer sur l’ampli et ajouter des aigus par exemple (ce que je n’ai pas fait pour pouvoir faire la comparaison).
4 Modification #3 : résistance de collecteur Rc
Finalement, je me suis inspiré du circuit de la Fuzz Face ([5]) et de la Fuzzgod II de Redwitch pour voir ce qui pourrait se passer au niveau du son en mettant la sortie entre deux résistances de collecteur.
Si on se réfère aux explications du circuit de la Fuzz Face par R.G. Keen (lisez ce fameux article ref [6] !), un tel diviseur de tension crée une baisse de volume délibérément pensée pour diminuer l’énorme quantité de signal qui vient de la combinaison des deux transistors.
J’ai voulu voir si ça a un effet au niveau de la chute rapide du son.
Verdict : eh bien je trouve que ça a amélioré un poil le problème du tout ou rien énoncé au début. On a un peu plus de contrôle sur les accents. Mais c’est pas un gros deal non plus. Après, ce n’est pas le même circuit que la Fuzz Face, qui elle a deux transistors et plus de composants annexes…
Conclusion
J’ai essayé d’écrire un petit article pédagogique qui regroupe théorie et pratique sur le circuit de la Bazz Fuss. J’ai essayé d’être objectif en ce qui concerne l’interprétation de l’audio et de ma façon de jouer, et d’apporter mes lumières sur comment je pense que fonctionne le circuit.
Au niveau du son de la pédale, lorsque le volume de la guitare est à fond, c’est une tuerie ! Après il y a quelques inconvénients comme cette chute de son rapide, mais au moyen de simple modifications nous avons vu qu’il est possible de l’améliorer. Après, en acceptant ce circuit pour ce qu’il donne, je trouve qu’il permet de faire de belles choses à la guitare.
J’espère surtout que cet article vous donnera envie de jouer musicalement avec les composants. Et il y a encore matière à s’amuser ! Peut être serait il intéressant de tester une diode au germanium ? Baisser la résistance de collecteur ? Tester un transistor au germanium ? Mettre une résistance entre émetteur et masse, ou une résistance variable ? Etc… ?
Et vous, avez vous déjà testé ces différents réglages ? Vous pouvez les commenter en bas si vous voulez !
Références :
[1] http://home-wrecker.com
[2] https://www.onsemi.com/pub/Collateral/2N3903-D.PDF
[3] https://www.vishay.com/docs/85622/1n914.pdf
[4] https://www.onsemi.com/pub/Collateral/MPSA18-D.PDF
[5] https://fuzzcentral.ssguitar.com/schematics.php
[6] http://www.geofex.com/article_folders/fuzzface/fffram.htm
J’avoue qu’au début je me suis dit: vais-je comprendre quelque chose à cet article ? Mais OUI !!!
Merci pour cet article clair et précis, ça m’a donné envie d’essayer et ça m’a rassurée…
Merci Anne pour ta curiosité et tes encouragements !!